Chapitre 15 :

 

Noir et blanc

 

 

 

 

 

 

Telhia ! appela vainement Ash à travers l’opaque blizzard qui s’abattait. Telhia !

Les deux autres lancèrent également quelques appels sans plus de succès. Il semblait clair que la jeune magicienne n’était plus parmi eux. Ash afficha une mine paniquée lorsqu’elle comprit cela.

Aussitôt Laruku s’approcha d’elle.

En toute logique je dirais qu’elle est avec Motoko, affirma-t-il en hurlant à moitié pour qu’Ash l’entende malgré la tempête. Ça m’étonnerait qu’il lui arrive quoi que ce soit. Par contre nous, nous risquons beaucoup. Si on ne se met pas en marche rapidement, nous entrerons en hypothermie, ce qui signifie ici la mort assurée.

Il faut qu’on se mette en route, confirma Kaïh, mais quelle direction doit-on suivre ?

Notre but reste toujours la capitale pour qu’Ash mette la main sur l’esprit de l’eau. Le vent souffle du nord sur Nehbrah, il faut donc marcher contre lui.

Contre le vent ? répéta Kaïh qui se frictionnait déjà les mains engourdies par le froid. Si on ne trouve pas un refuge rapidement, on va y rester.

Je sais, avoua Laruku, mais nous n’avons pas d’autre alternative. Il ne nous reste qu’à penser que Motoko a eu le bon sens de nous transporter à proximité d’une ville. Allons-y, ne perdons pas de temps.

Ils se mirent donc en route.

Le froid était tel qu’Ash sentit rapidement ses extrémités s’engourdir. Le vent était comme une gifle sur leur visage et ils gardaient en permanence leurs bras plaqués contre leur torse pour retenir un maximum de chaleur. Leur tenue n’était pas adaptée à de telles conditions météorologiques. Ils dérapaient sans arrêt dans la neige, manquant de tomber dans cette poudre gelée. Et plus ils avançaient, plus leur espoir de voir au loin un village s’amenuisait. Mais comme l’avait dit Laruku, que pouvaient-ils faire d’autre ?

Ils continuèrent donc à progresser contre les bourrasques de vent, avançant lentement. Lorsqu’ils faisaient trois pas en avant, le souffle contre lequel ils se battaient les faisait reculer de deux. Au bout d’une heure de combat pour rester debout, ils finirent par apercevoir une lueur orange au loin. Elle rappelait assurément celle d’un feu qui crépitait dans une habitation à deux ou trois kilomètres tout au plus. Pleins d’espoir, ils mirent les bouchées doubles pour rejoindre ce phare dans la tempête.

Mais le vent redoubla d’intensité, les freinant d’avantage dans leur progression.

Où est passée la lumière ? s’exclama Kaïh au bout d’un long moment. On y était presque, je ne comprends pas.

En face d’eux le paysage était désespérément gris, balayé par la neige. La lueur avait disparu.

Tu es sur qu’on a gardé le cap ? demanda Laruku.

Oui, j’ai fait comme tu m’as dit ; tous les deux mètres je jetais un œil en arrière pour vérifier à nos traces de pas qu’on ne déviait pas.

Je ne comprends pas, dit Ash. Je l’ai vue il y a encore quelques minutes de ça. Et je suis sure qu’on s’en rapprochait.

Ils restèrent un moment immobiles, complètement dépités. Leur espoir venait de s’éteindre, dans tous les sens du terme.

Continuons dans la même direction, proposa Laruku. Peut-être quelqu’un a-t-il éteint ce feu, tout simplement.

Les deux autres acquiescèrent et ils se remirent en marche.

Mais le froid commençait à être insupportable et Ash grelottait déjà de manière incontrôlable. Elle finit par trébucher et s’enfonça dans la neige fraîche. Ce fut comme si un millier de très petites aiguilles lui transperçaient le visage et les mains.

Princesse !

Kaïh accourut et la sortit de la neige en époussetant ses vêtements des petits cristaux de glace.

Ça va aller ?

Elle ne réussit même pas à lui répondre. Son corps tout entier semblait ne plus lui obéir. Les tremblements avaient pris une intensité alarmante et ses muscles s’étaient raidis, la paralysant sur place.

Elle finit pourtant par ouvrir la bouche, stupéfaite, puis leva un bras tremblotant, pointant quelque chose derrière Kaïh.

Ecartez-vous ! hurla Laruku.

Il les heurta violemment, les faisant tous les deux tomber à terre et un mur de neige se leva dans une explosion étouffée.

La lueur orange qu’ils avaient prise plus tôt pour un feu crépitant était en fait deux yeux. Deux yeux montés sur une immense tête, elle-même posée sur un corps musclé pourvu de quatre bras aussi larges que le corps tout entier. C’était l’un de ces bras qui s’était abattu avec force à l’endroit où Ash se tenait un peu plus tôt. Un bras couvert d’une épaisse fourrure blanche rendant la chose presque invisible dans la neige immaculée. Seuls ses yeux oranges brillaient intensément, transperçant le blizzard sans aucun mal. La chose se redressa et Ash put voir qu’elle ressemblait à un primate. Un primate, géant, avec quatre bras surdéveloppés.

La chose poussa un hurlement rauque qui leur donna à tous l’impulsion nécessaire à se relever et à s’éloigner à reculons de cet ennemis.

On ne peut pas fuir, leur glissa Laruku. Il va falloir se battre.

Immédiatement Kaïh dégaina la large épée qu’il avait attachée dans le dos, prêt à en découdre avec le monstre.

Je veux bien, mais je n’ai plus mon Magun ! informa Ash qui tremblait toujours.

En effet, elle avait perdu son arme lors du naufrage de leur bateau. L’eau l’avait emporté loin d’elle et elle n’avait pas eu le temps de la récupérer.

Tu penses pouvoir effectuer une symbiose ?

Ash secoua la tête. La symbiose épuisait énormément ses forces et elle s’en sentait déjà vidée.

Une ou deux minutes tout au plus. Et une fois la symbiose achevée, je serai incapable de combattre.

Dans ce cas, reste en arrière, lui conseilla Kaïh.

Et ils s’élancèrent à deux contre le monstre qui commençait justement à combler la distance entre eux.

Laruku, ses tonfa enfilés aux mains, fit une pirouette par dessus la chose tandis que Kaïh projetait sa lame de toutes ses forces. L’impact fut si violent qu’Ash sentit le sol trembler. Mais la peau du monstre, sans doute endurcie par des années de vent glacial, était aussi solide que l’acier. L’attaque l’avait à peine ralenti. Laruku tenta d’attirer l’attention du monstre en lui assénant trois coups successifs dans le dos, mais il ne sembla pas les sentir. Il balança alors l’une de ses mains vers Kaïh, saisit son corps entre ses énormes doigts et le projeta si loin qu’il disparut de leur vue, caché par l’épais blizzard qui soufflait toujours.

Ash recula de plusieurs pas, paniquée. Elle voulait faire quelque chose, mais elle se sentait à nouveau impuissante. Cette chose semblait complètement insensible aux attaques. Alors que pouvait-elle faire à mains nues ? Même si en symbiose avec l’esprit du vent, elle parvenait à se servir de son corps comme catalyseur, c’était avec une arme que ses attaques étaient les plus efficaces.

Après plusieurs attaques à l’efficacité quasiment inexistante, Laruku s’éloigna un peu du monstre et prit une position de défense, les yeux fermés.

Ash, lança-t-il sans bouger, il sera sur moi dans quelques secondes. Je vais déployer un bouclier de magie autour de moi qui me permettra de résister pendant un temps. Profites-en pour retrouver Kaïh et vous enfuir ensemble !

C’est hors de question ! hurla Ash.

Réfléchis, nous n’avons pas d’autre solution !

La ferme ! J’en ai marre de t’entendre dire ça !

Elle voulait intervenir mais il lui fallait une arme. N’importe quoi ferait l’affaire, mais il fallait qu’elle l’aie maintenant, sur le champ.

Dépêche-toi !

Les tonfa de Laruku étaient trop loin, et impossible de savoir où se trouvait Kaïh.

ASH !

Une arme, n’importe quoi ! Mais vite !

NOOOON !

Le corps de Laruku disparut sous un poing à moitié enfoncé dans la neige tandis qu’un craquement horrible se faisait entendre.

J’ai besoin d’une arme, pria Ash de toutes ses forces.

Et alors, elle se rendit compte qu’une sorte d’aura noire l’entourait. Comme si sa peau laissait échapper des filets de fumée sombre. Ça ressemblait à ce qu’avait fait Motoko un peu plus tôt, juste avant qu’ils ne soient téléportés. Bientôt un sifflement retentit, lointain. Il gagna rapidement en intensité et Ash put distinguer comme un scintillement quitter le ciel. C’était comme si une étoile s’était décrochée du ciel et fonçait droit sur elle.

Mais le monstre était presque sur elle, lui aussi.

Le scintillement se rapprocha encore.

Le monstre leva son poing.

Le scintillement était si proche qu’Ash put distinguer ses contours.

Le poing fonça vers le visage de la princesse.

Une pierre taillée d’une couleur noire entra en contact avec le centre de sa poitrine.

Et comme si on le lui avait soufflé à l’oreille, Ash hurla un mot à pleins poumons :

YAMITSURUGI !

Un éclair noir fendit le ciel et sans même réfléchir, la princesse abattit ses mains vers le sol de toutes ses forces.

Le monstre vacilla un instant, puis avec lourdeur il s’effondra en arrière, une large entaille se dessinant le long de ses pectoraux musclés.

Essoufflée, Ash retira ses mains de la neige dans laquelle elles s’étaient enfoncées et découvrit qu’elle tenait quelque chose. Quelque chose d’assez lourd qui semblait aspirer ses forces hors de son corps. Elle leva finalement l’objet devant ses yeux et découvrit une lame aux reflets noirs, légèrement courbée, dont seul un coté semblait tranchant. Le manche quant à lui était recouvert d’une bande de tissu laissant régulièrement apparaître des pierres noires incrustées en forme de losange. De même une sorte de fine garde passait juste au dessus des doigts de la princesse. Sa forme étrange donna immédiatement l’impression à Ash qu’il était possible de tirer cette garde vers le manche avec simplement deux de ses doigts. Comme une manette qu’on actionnerait. Un espace était même prévu pour qu’une fois actionnée, la manette ne soit pas bloquée par les autres doigts restés sur le manche.

Ce n’est que lorsque Laruku fit craquer son épaule déboîtée pour la remettre en place qu’Ash réalisa ce qui venait de se passer. Aussitôt la fumée noire qui l’entourait disparut, de même que l’arme qu’elle tenait. Elle sembla s’effacer dans un sifflement.

C’était ça, l’aura dont parlait Motoko.

Ash n’arriva pas à savoir si cette phrase était une question ou une affirmation. Aussi elle haussa simplement les épaules sans prononcer un mot.

Une chose était sure, pendant ce bref laps de temps elle n’avait plus senti la morsure du froid sur elle.

Ils retrouvèrent rapidement Kaïh qui s’était à moitié enfoncé dans un bloc de neige sans parvenir à se libérer. Heureusement, il n’avait rien. Ils se remirent donc rapidement en route alors que la tempête se calmait un peu. Le froid était toujours mordant, mais un peu plus suportable.

Cette épée, c’était quoi ? demanda Laruku.

Je ne sais pas, avoua Ash. J’ai simplement voulu trouver une arme et elle est apparue.

Comme ça, de nulle part ? s’étonna Kaïh.

Non, il me semble avoir vu une pierre foncer vers moi. Elle ressemblait à celles qu’on utilise en catalyseur.

Pendant quelques minutes, Laruku plongea dans une profonde réflexion. Il sortit finalement de sa poche un petit bloc rectangulaire qui se mit vite à afficher des caractères lumineux.

Qu’est-ce que c’est ? demanda Kaïh curieux.

Un terminal portable. Ça sert à stocker des données.

C’est de la technologie provenant du cratère ? osa Ash qui se souvenait de ce que Motoko leur avait dit.

Mais Laruku ne répondit pas, trop occupé à pianoter sur son terminal. Après quelques nouvelles minutes de silence, il reprit la parole.

Il existe des pierres semblables aux catalyseurs, à la différence qu’elles sont déjà chargées de magie. Nous n’avons jamais vraiment trouvé d’utilisation à ces pierres, mais il est possible en théorie de se servir de cette magie en latence, voire de la matérialiser.

En arme ? continua Kaïh. Pourquoi diable cette pierre se serait jetée sur Ash plutôt que sur l’un de nous ?

La résonance, dit simplement Laruku comme si ça coulait de source. Si Ash a, comme je le pense, dégagé une grande quantité de magie — ou d’aura — elle a pu entrer en résonance avec l’une de ces pierres à proximité. Si la longueur d’onde de son aura et celle de la pierre étaient similaires, il est probable qu’elles se soient reconnu et attiré l’une l’autre. De quelle couleur était cette pierre ?

Noire.

CQFD !

Ah bon ?! s’exclama Kaïh. Pour toi c’est logique ? Je n’y comprends rien décidément.

C’est pourtant simple, reprit Laruku. Fais un effort. Jusqu’à maintenant nous pensions que notre maîtrise de la magie était correcte, mais il n’en est rien. Les Séraphins maîtrisaient si bien cet art et à un tel niveau de puissance qu’une aura de couleur se dégageait d’eux lorsqu’ils l’utilisaient. C’est pour cela qu’eux ont appelé ça « l’aura ». Le fait que chaque magie ait sa propre « carte d’identité » est en adéquation avec ce phénomène de couleur d’aura. Celle de Motoko était rouge, celle d’Ash semble être noire et la nôtre doit avoir sa propre couleur elle aussi. Le fait que la pierre qu’Ash a aperçue était de couleur noire prouve bien qu’il y a eu une sorte de « reconnaissance » entre la pierre et la magie d’Ash. Tu comprends ?

Non.

Laruku soupira, dépité.

Tu penses qu’il est possible d’atteindre le même niveau de magie que les Séraphins ? demanda alors la princesse.

Oui, j’en suis persuadé. Si nous n’en sommes pas capables aujourd’hui, c’est uniquement parce que nous nous sommes longtemps reposés sur la puissance des catalyseurs. Or, pour maîtriser l’aura, il faut utiliser son corps uniquement. C’est fondamental. En s’entraînant dans ce sens, il devrait être possible d’accroître rapidement sa réserve de magie.

Parlez pour vous, souffla Kaïh.

Ça vaut pour toi aussi, le corrigea Laruku. Ta réserve de magie est simplement trop faible pour le moment, mais en suivant l’entraînement adéquat tu devrais être en mesure de corriger cela. J’en suis persuadé.

Surpris, Kaïh ne sut que répondre. C’était la première fois que Laruku lui disait quelque chose qui pouvait être considéré comme gentil. Car cette nouvelle lui donnait réellement l’espoir d’améliorer son plus gros défaut.

Mais il n’eut pas le temps de trouver des remerciements à formuler à l’attention de l’Etrah ; une ville se dessinait devant eux.

Comme taillée au sein d’un immense bloc de glace, la capitale des Tiophéis bravait la tempête depuis des siècles sans même frémir.

C’est Silbara ? demanda Kaïh. C’est super grand !

La majestueuse cité de glace, confirma Laruku.

On dirait plutôt un glaçon géant …

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