L’Hybris
Une fois de plus, Ash était abasourdie par ce qu’elle voyait.
Après un long voyage au côté de Kensuke Aldebaran, elle arrivait au quartier général de l’ordre des Cinq Piliers. Rien au monde n’aurait pu la préparer à ça. Pas même son court périple dans la ville inconnue où elle avait découvert une architecture d’un autre temps. C’était là bien au-dessus de tout ce qu’elle pouvait imaginer. Car jamais, même dans ses rêves les plus fous, elle n’aurait cru possible qu’un immense complexe composé de plusieurs bâtiments — dont une tour vertigineuse — pouvait voler au-dessus des nuages.
– Pincez moi j’rêve, lâcha Kaïh.
Ils se trouvaient tout les cinq sur une petite plate forme reliée à celle qui abritait les bâtiments par un large pont. Une espèce de coupole de verre entourait tout, empêchant les gens qui se promenaient le long de l’édifice de tomber. Il y avait plusieurs autres plates-formes similaires à la leur tout autour de l’énorme disque volant, toutes reliées par des ponts plus ou moins larges. Des gens, presque uniquement des Hommes, y marchaient tranquillement. À certains endroits des espaces verts avaient été aménagés, et de jeunes personnes s’installaient à l’ombre des arbres, profitant d’une petite brise. Tous semblaient porter à peu près le même uniforme bleu. Veste et pantalon pour les hommes, chemise et jupe pour les filles. Beaucoup de ces personnes étaient semble-t-il plus jeunes que la princesse, mais le plus perturbant était de constater que pour eux, voler au-dessus des cieux était normal.
– Bienvenue sur l’Hybris, l’école des magiciens de Gaëa. Venez, je vais vous faire visiter, dit Kensuke en riant de leur expression éberluée.
Ils s’avancèrent sur le pont, s’approchant de la plate-forme principale. Ils purent ainsi voir un disque gigantesque tourner juste en-dessous, émettant une lumière bleutée. Plus bas encore une sorte de cône pointait vers le sol, entouré de plaques de métal et de gros câbles plus larges encore que l’Immortel qu’ils venaient de combattre.
Devant eux, une grande cour les attendait. Elle était recouvert d’une pierre très dure et bien lisse sans aucune aspérité. Par endroit, régulièrement, un carré de verdure perçait la pierre donnant un aspect des plus conviviales à l’endroit. Au centre de ce gigantesque espace une fontaine faisait jaillir des trombes d’eau haut dans le ciel. On pouvait presque voir de petite tâche d’arc-en-ciel se former par endroit.
Ils s’avancèrent devant deux larges grilles déjà ouvertes donnant accès à cette cour. Des élèves les franchirent en sens inverse, riant à gorge déployée. Ash en fut très émue. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas vu de bonheur, du vrai. Ces jeunes personne semblaient insouciantes, innocentes, pleines de joie et de vitalité. À ce moment elle aurait tout donné pour faire partie de leur groupe et rire avec eux en oubliant tous ses problèmes. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, mais se reprit très rapidement et suivit les autres qui avançaient.
– Le bâtiment le plus à gauche là-bas, c’est l’entrepôt, expliqua Kensuke en désignant une construction au loin. On y stocke les vivre mais également toute sorte de fournitures de tout type et également nos moyens de transport. Juste à côté, le bâtiment un peu plus haut pavé de fenêtres, c’est le bâtiment des salles de cours. Il est relié au bâtiment plus en arrière, le petit là, insista t-il en agitant son doigt, qui est en fait la cafétéria. Le midi c’est l’anarchie là-bas, mieux vaut manger à l’extérieur.
Puis il pointa son doigt vers un immense dôme blanc situé complètement à leur droite.
– Ça c’est la serre de combat. Elle est composée de différentes zones reproduisant différents milieux naturels ou même urbains. Elle permet aux élèves de se mettre en situation de combat réel pour les préparer au terrain sans les mettre en danger. Enfin bon, personnellement je trouve que les instructeurs y vont trop doucement.
– Étonnant n’est-ce pas ? lança Setsuna sarcastique.
– Accolé à la tour principale vous avez le bâtiment de recherche. On y trouve une bibliothèque, des laboratoires et tout ce qu’il faut aux petit matheux.
Telhia aurait adoré, pensa immédiatement la princesse.
– Et au milieu, la tour principale. On y trouve dans les étages inférieurs des salles de réunion principalement et tout au sommet, le bureau du directeur.
La tour était imposante. Elle ressemblait à s’y méprendre à une lance pointée vers le ciel. En effet, au sommet de l’édifice bien lisse, se trouvait une structure ressemblant à une lame prête à déchirée le ciel.
– Il y a d’autres bâtiments à l’arrière pour toute sorte de choses moins intéressantes, conclut Kensuke en souriant. Alors, pas trop perdus ?
– Je ne comprends pas, répondit Laruku perplexe. C’est une école ici ?
– C’est plus que ça, expliqua Setsuna. Mais sa fonction principale est effectivement celle d’une école pour magiciens. Parallèlement, une fois les magiciens formés, ils ont la possibilité de poursuivre leurs études dans des classes militarisées.
– Et contre qui vous battez-vous ?
La jeune femme se contenta de sourire en guise de réponse après quoi elle emboîta le pas à Kensuke qui se dirigeait vers la cafétéria.
Le bâtiment était un gigantesque carré au centre duquel une cour intérieure circulaire habitait un parterre de fleurs toutes plus colorée les unes que les autres. Une baie vitrée entourait ce décor enchanteur, empêchant quiconque d’y pénétrer. Ash se demanda vaguement comment ce parterre pouvait être entretenu étant donné qu’aucune porte ne semblait y mener. Ils se dirigèrent vers un large comptoir juste en face de l’entrée derrière lequel on pouvait apercevoir les cuisines. Kensuke y passa une commende, mais la princesse était trop absorbée par le nombre gargantuesque de tables disposées dans le reste de la cafétéria. Certaines étaient rondes, entourées de chaises molletonnées, d’autres longues de plusieurs mètres, avec des bancs pouvant accueillir des dizaines de personnes de part en part. Par endroit il y avait même des tables un peu plus basses entourées d’un grand fauteuil en arc de cercle. À cette heure-ci, en début d’après midi, il ne devait pas y avoir énormément de monde et pourtant une bonne vingtaine de personnes se trouvait là éparpillée à travers tout le bâtiment. Certain étaient en bande, confortablement installés sur les fauteuils, riant haut et fort. Mais il y avait aussi des personnes seules à leur table, griffonnant des notes sur des cahiers. L’un deux avait même en face de lui une étrange machine munie d’un clavier, semblable à celle qu’elle avait vue dans les sous-sol d’Ares mais en beaucoup plus petit. Il tapotait nerveusement sur les touches de cette machine tout en jetant des coup d’œil à une feuille à côté de lui.
– Les examens arrivent bientôt pour les élèves de classes supérieures, expliqua Kensuke. Venez on va s’installer.
Ils prirent une des tables circulaires jouxtant la baie vitrée donnant sur le jardin de fleurs. Le soleil semblait inonder cette place d’une lumière enchanteresse. Ash remarqua alors que plusieurs élèves jetaient vers eux des regard curieux.
– On ne devait pas aller voir votre chef ? demanda nerveusement Kaïh qui lui aussi jetait des coup d’œil partout.
– Le directeur n’est pas encore là, expliqua Setsuna tandis que Kensuke croquait à pleines dents dans deux tranches de pain au centre desquelles était placé un morceau de viande. Il a été prévenu de votre arrivé et devrait rallier l’Hybris dans quelques jours tout au plus.
– Et qu’est-ce qu’on va faire en attendant ?
– Manger ! répondis Kensuke la bouche pleine.
Ash ne se fit pas prier plus longtemps, attrapa la même étrange nourriture que ce dernier et engloutit une bouchée d’un trait. Elle avait faim depuis un bon moment et ce repas lui sembla être un cadeau des dieux. Ses deux amis l’imitèrent bientôt.
Au cours de ce repas, ils apprirent beaucoup de choses, à commencer par le nom de cette nourriture qu’ils avalaient goulûment : hamburger. Mieux encore, ils apprirent que c’était une création de Séraphins, comme énormément de choses dans cette école. La princesse compris rapidement que cet endroit était comme un monde à part, mêlant le peuple de Gaëa aux traditions et coutumes des Séraphins.
Le soleil commençait à se coucher quand on les mena aux dortoirs. Kensuke emmena les garçons à un étage du bâtiment et Setsuna accompagna Ash jusqu’à une chambre individualisée située à l’étage des filles.
– C’est toujours plus prudent de séparer les hommes et les femmes, plaisanta Setsuna. Crois-moi. Je te laisse ici. On se verra demain.
Et elle s’en fut laissant la princesse face à la porte qu’elle n’avait toujours pas ouverte. Étrangement elle avait du mal. Peut-être était-ce le fait qu’elle ne parvenait pas vraiment à comprendre ou à réaliser ce qu’il se passait ici. Elle resta ainsi, « bloquée » devant ce qui serait sa chambre pour un temps.
– Qu’est-ce que je fais ici ? soupira t-elle.
Et elle se décida à pénétrer dans sa nouvelle chambre. Une pièce assez sommaire composée d’un lit, d’une armoire et d’une petite annexe comportant toilettes et salle de bain. Ash ne résista pas à l’envie de prendre une douche brûlante. Elle jeta littéralement ses affaires à terre, tourna les robinets à fond et pénétra sous le rideau d’eau chaude. Là elle resta immobile un long moment, passant de temps en temps sa main le long de sa nuque, comme pour détendre ses muscles. Elle remarqua également que ses nombreuses cicatrices avaient fini par disparaître. Toute sans exception. Elle en vint presque à se demander si elle avait vraiment eu des blessures et si elle avait été aussi graves qu’elle l’avait pensé. L’eau chaude détendit la totalité de ses muscles et elle sentit ses épaules s’alléger d’un poids. La fatigue peut-être, ou la peur constante d’être attaquée au cours de son voyage. Étrangement, là, à l’Hybris, elle se sentait en sécurité. Elle ne savait pas encore grand chose, mais voir de jeunes gens insouciants avait suffi à la convaincre que tout ceci n’était ni une mascarade, ni un piège. Bientôt elle aurait des réponses. Il ne lui restait plus, d’après les dire de Kensuke, qu’à les accepter.
En sortant de sa douche, plus d’une heure plus tard, Ash était si détendue qu’à peine allongé sur son lit, elle s’endormit comme une souche.
Trois jours passèrent.
Elle apprit énormément de choses. Notamment à se servir de la technologie qui se trouvait au sein de cette école. En un jour à peine elle savait se servir de ce qu’ils appelaient un ordinateur. Elle assista également aux cours donnés dans le bâtiment contenant de nombreuses salles de classes. Un jeune professeur expliqua à une vingtaine d’élèves tous les symboles existant pour transformer de l’aura en magie élémentaire. Ash fut d’ailleurs surprise de ses propres connaissances. Avec le temps elle les avait toutes mémorisées, et à en voir la tête des élèves ce n’était pas chose aisée pour eux. Cependant elle n’eut pas beaucoup d’interaction avec d’autres personnes en dehors de Kensuke qui lui conseilla fortement de ne pas révéler ici sa véritable identité pour le moment. Il lui avait attribué un autre nom en attendant : Ashelia Kuroi. Suffisamment discret pour ne pas éveiller de soupçons, et assez proche de son véritable nom pour ne pas qu’elle se trompe. Même Kaïh et Laruku s’étaintt vite habitué à l’appeler ainsi.
Le deuxième jour Kensuke lui expliqua nombre de choses sur l’école. Elle était composée de sections. Dans la première on y apprenait des matières très générales tels que les mathématiques, l’histoire, la physique etc… elle réunissait des élèves allant de dix à quatorze ans et s’étalait sur trois ans. La seconde commençait l’enseignement magique tout en gardant les précédentes matières. On y enseignait aussi de la théorie et de la pratique sur les combats et les armes. On y trouvait des élèves âgés de quinze à dix huit ans et elle s’étalait également sur trois ans. Au terme de la dernière année de la deuxième section d’enseignement, les élèves devaient passer un examen pour pouvoir entrer dans la dernière section, celle qui était militarisée. Celle-ci envoyait les aspirants sur le terrain en fonction de leurs capacités afin de les former. Mais le plus important de tout, et ce à quoi tout élève magicien aspirait, c’était la section nommée « Slayer » regroupant des personnes portant ce titre et considérées comme les meilleurs guerriers magiciens. Ils étaient admirés de tous et on leur voyait confier des missions sensibles et très dangereuses selon les dires de Kensuke. Quant au Cinq Piliers, c’était une banche annexe au Slayer, réunissant cette fois uniquement cinq guerriers d’exception autorisés à agir selon leur propre volonté, sans dépendre de supérieur hiérarchique. Sorte de généraux indépendants. Malheureusement à cause d’une erreur de Kensuke il y a peu, l’armée d’Anghor avait appris le nom de cette organisation et savait qu’il en faisait partie.
Kaïh manifesta rapidement son envie de rejoindre les Slayer s’il en avait l’occasion. Kensuke ne manqua pas cette occasion pour faire promettre au jeune homme de s’engager si Ash le faisait aussi. Cette dernière préféra ne rien dire, mais elle envisagea tout de même cette possibilité.
Ces trois jours passés, le directeur de l’Hybris finit par rentrer et Kensuke l’emmena dans la tour principale, celle qui ressemblait à une gigantesque lance. Setsuna elle aussi l’accompagna. Une fois l’entrée franchie, un unique ascenseur les attendait, entouré de deux statues, l’une arborant des ailes d’ange dans le dos et l’autre des ailes de démons.
Ils pénétrèrent tous les trois dans l’ascenseur et une longue ascension commença.
– Pourquoi Kaïh et Laruku ne peuvent pas m’accompagner ? demanda Ash après un moment.
– Le directeur veut discuter seul à seule avec toi, répondit Setsuna. Il y a certaines choses qui te concernent personnellement, il serait mal venu de les dévoiler devant eux.
– Je vois.
Le silence les engloba. Kensuke semblait tendu, contrairement à son habitude. Il ne prononça pas un mot durant toute l’ascension . Ce mutisme inhabituel angoissa un peu la princesse. Était-ce là un moment si crucial qui allait se jouer ? Au point que cet homme d’habitude si jovial perde sa bonne humeur et se mette presque à prier silencieusement pour que tout se passe bien ?
L’ascenseur s’arrêta finalement, les laissant face à un escalier en colimaçon qui semblait monter encore bien haut.
– En haut de cet escalier tu trouveras deux portes en or, expliqua Setsuna. Derrière, le directeur t’attend. On se revoit quand tu descendras.
Elle la poussa légèrement pour l’encourager à sortir de la cabine. Juste avant que les portes ne se referment, la voix de Kensuke retentit :
– Tout se passera bien.
Et ils disparurent tous deux, la laissant seule. Sans plus attendre, Ash commença à gravir les marches de l’escalier tout en se répétant en boucle « tout se passera bien ». Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter si Kensuke avait dit ça. Finalement il devait l’avoir jugée capable de surmonter l’épreuve qui l’attendait. Alors inutile de tergiverser.
Encore plus déterminée, elle commença à gravir les marches deux à deux, accélérant sa montée. Elle fut même surprise d’arriver en haut au bout de quelques secondes. Pourtant l’escalier lui avait paru très long. Elle aurait juré que ça lui prendrait plus de temps que cela.
Peu importe, elle se plaça en face des portes d’or sur lesquelles des gravures représentaient une scène qu’elle ne comprenait pas.
Et elle les franchit d’un pas décidé.
Le bureau du directeur était en fait une pièce circulaire au sol recouvert d’un tapis rouge sombre, dont les murs transparents donnaient une vue à 360° sur l’extérieur — excepté là où la porte d’or se trouvait. Fait très surprenant puisque derrière la porte devait se trouver l’escalier d’où elle arrivait. Or là, c’était comme si rien n’existait derrière cette entrée. Mais Ash n’eut pas le temps de s’interroger plus amplement sur cette étrangeté car son regard fut immédiatement attiré par l’unique élément de cette pièce quasi vide : un grand bureau en bois derrière lequel un homme venait de diriger son regard vers la jeune femme. Il retira ses lunettes et se redressa en souriant.
– Ash, enfin nous nous rencontrons, lui dit-il d’une voix excessivement douce tout en contournant son bureau. Nous avons tant de choses à nous dire.
Il s’arrêta à deux mètres d’elle, les bras croisés.
– J’imagine ta surprise, tu ne t’attendais sans doute pas à ça.
– Yami… tsurugi.
L’épée apparut dans un sifflement et Ash se jeta sur l’homme qui les avait fait tant souffrir :
Anghor.